envoûtement avec cadenas d’amour

envoûtement avec cadenas d'amour

Les envoûtement avec cadenas d’amour : émotions et pratiques rituelles dans l’espace mythologique de Paris

envoûtement avec cadenas d'amour

La pratique envoûtement avec cadenas d’amour sur une barrière de pont est un rituel contemporain qui permet d’objectiver un lien émotionnel entre deux individus ou plus. A partir d’un terrain ethnographique d’observation in situ et online, d’entretiens et d’examen de photos, En tant que forme rituelle, la pratique comprend des aspects magico-religieux. Enfin, elle mobilise de nombreux acteurs, institutionnels et commerciaux au-delà du cercle de ses pratiquants.

Le geste d’accrocher un « cadenas d’amour » sur un pont afin de sceller une union constitue une pratique qui a du sens pour de nombreux individus qui y consacrent du temps, de l’attention, et sont prêts à se mobiliser collectivement pour faire entendre leur point de vue, notamment sur les réseaux sociaux.

On propose d’observer et analyser le comportement des individus dans le cadre de ce qui, pendant longtemps, consistait en un rite individuel, sous la forme théorique de la pratique sociale, de décaler l’échelle d’analyse après avoir relevé les pratiques micro-sociales en un cadre plus vaste qui fait intervenir d’autres agents institutionnels et commerciaux et interroge la gestion d’agency, d’observer la dynamique de diffusion de la pratique et la manière dont elle crée des formes de pratiques concurrentes et génère sa propre contestation.

Parmi les rites de passage, on retrouve le mariage, les fiançailles ou ceux qui accompagnent le décès. Aujourd’hui, les formes rituelles contemporaines se sont tellement altérées « qu’elles ne possèdent plus l’ensemble des caractéristiques essentielles à la définition des rites de passage (caractère collectif, obligatoire, structuré, fixe, définitif et unique) » (Roberge) ; nous voyons ici un premier argument pour traiter de leur mutation contemporaine par une autre approche théorique.

Pratique. On souhaite ici réaliser l’examen du rituel dans une perspective longitudinale (les rituels peuvent évoluer dans le temps), la dynamique de sa diffusion globale, l’examen de formes concurrentes et de contestation. Ici, le cadre théorique de la pratique (practice theory) est donc celui qui s’applique le mieux : ce qui était un rituel familial et sacré (les fiançailles, le serment religieux) ou individuel et secret (graver des initiales sur un arbre) est en effet devenu une pratique sociale, globale, profane, dynamique et contestée.

tuelle de l’accrochage du cadenas, nous avons procédé à des périodes d’observation des pratiques sur les ponts des arts et de l’archevêché à Paris lors de la Saint Valentin (2015-2018) et lors de journées « ordinaires ». Du fait de l’évolution de la pratique et des formes de sa contestation jusqu’à son retrait en 2016, il a donc été nécessaire de procéder à une étude longitudinale sur une temporalité longue de 4 ans.

Nous avons procédé à l’examen photographique de plus de 40,000 cadenas laissés sur le pont et nous avons mené une étude Netnographique sur les commentaires laissés par les nombreux fans et détracteurs de cette pratique sur plusieurs sites web et blogs référents des amoureux du pont, et ceux de ses détracteurs.

Nous avons ainsi collecté plus de 15,000 commentaires que nous avons codés. L’échantillon est varié par rapport aux profils touristiques des visiteurs observés (parisiens, français, étrangers), leur âge, leur intérêt ou leur critique de cette pratique. Nous avons ensuite procédé à une série de classifications et comparaisons pour faire émerger des éléments de similitude. L’étude a été complétée par 25 entretiens réalisés avec des consommateurs qui ont accroché des cadenas et 3 acteurs clés rencontrés lors de notre engagement sur les réseaux sociaux : artiste, photographe, journaliste.

RESULTATS


Les cadenas d’amour sont au cœur d’une pratique qui mêle la consommation de divers biens matériels et symboliques, et s’établit par une routinisation, tout en mobilisant des acteurs institutionnels et des producteurs. On observe aussi les compétences des praticiens, leurs outils et matériels appropriés, leur sérieux et leur engagement dans « l’acte de faire ».

La pratique entraine des adeptes et des contestataires sous formes de véritables communautés de pratiques qui se reconnaissent et se fédèrent sur les réseaux sociaux. La pratique requiert une forme d’engagement, des objets et des représentations qui lui sont associées. L’engagement provient de l’intention rituelle, sous la forme d’un vœu, qui rappelle le rite de la pièce lancée dans une fontaine. La connaissance de la pratique est réalisée par la consommation de produits culturels, par la description d’autres visiteurs qui ont parlé de cette nouvelle « tradition », en la découvrant, en se promenant sur le pont parmi les autres et en voyant les autres faire.


. Reconfiguration d’un objet par détournement et variantes: Le cadenas dont l’usage premier était la fermeture sécurisée d’un contenant, devient pur symbole dans la pratique de la signification des sentiments éternels.
. Diffusion de la pratique : Si la pratique a beaucoup d’importance pour ses praticiens, l’imaginaire symbolique est peu rapporté à l’univers des symboles (le pont, le cadenas, l’amour courtois) mais à un ensemble culturel du niveau des stéréotypes et de l’imaginaire collectif : Paris est une ville romantique et la symbolique se rapporte au lieu. Ce mode de pensée n’est pas spécifique à une clientèle étrangère et se retrouve chez les français également.


. Le pont des arts est devenu un des lieux les plus visités de Paris et fait partie d’un itinéraire obligé.
Nous explorons aussi la pratique individuelle en tant qu’elle renvoie au collectif, les formes de contestation de la pratique.
. Appropriation et récupération de la pratique par les autres acteurs : les artistes, les représentants des institutions publiques, les marques s’emparent dans un deuxième temps de la pratique.

DISCUSSION


En examinant la structure tripartite des résultats en objets, manières de faire, et représentations, on montre comment une pratique s’initie et se diffuse. On considère ici également les variations et la contestation de la pratique simultanément à sa diffusion et le dynamisme d’expansion qui en résulte.

La diffusion de la pratique des cadenas sur le pont ne peut se comprendre que rapportée à la pratique du tourisme mondial et de la consommation de produits culturels globaux qui la diffuse et la font connaître (comme les comédies hollywoodiennes) ; il est ainsi évident que toute incidence sur ces deux dernières pratiques affectera la pratique principale étudiée, et que inversement des tentatives de transformer la pratique des cadenas affectera la pratique du tourisme à Paris, ce qui explique la circonspection des pouvoirs publics.


La pratique mobilise en apparence des ressources matérielles limitées (cadenas, rubans, marqueurs), dans un espace public, gratuit et ouvert à tous. Elle paraît pour cela refléter une démarche d’expression des sentiments “authentiques”, « pure », libre et dématérialisée. Les pratiquants accomplissent des actes esthétiques d’appropriation sur l’objet, dans une démarche globale de création : choix du pont, choix de l’espace du pont, choix du cadenas, des couleurs d’écriture, la rédaction du message, le choix de l’emplacement d’accrochage, et cadrage photo des nombreux selfies qui ponctuent toutes les étapes.

Ces diverses interventions esthétiques sur l’objet conduisent à sa totale réappropriation par le consommateur et rappellent tous les « bricolages » et « techniques » mis en lumière notamment par Michel de Certeau.

Cette démarche s’inscrit donc comme une pratique individuelle libre, dans un espace hétérotopique – une utopie réalisée au sens de Foucault qui idéalise et oppose « l’Amour face au marché ».

A cet égard, cette recherche s’inscrit dans un courant marketing qui interroge la notion d’émancipation des individus consommateurs et leur « vraie » liberté. On retrouve cette tendance dans les études sur la consommation avec la fiction d’une place qui échapperait au marché (ex. Burning Man) ou la fiction d’une nature romantique non construite par l’homme chez les pratiquants du surf pour répondre à leur idéal de la Nature opposé à la Culture.


Les pratiques observées au niveau micro social sur les ponts mettent en jeu des objets, des ressources matérielles très limitées par rapport à la richesse de l’expérience vécue par les individus.

Au niveau macro social, on distingue parmi les acteurs institutionnels la ville de Paris qui est au premier rang en tant que promoteur de la première destination mondiale du tourisme et détenteur d’un pouvoir de police : elle entrave une pratique qui pose des problèmes de sécurité publique (le poids des cadenas endommage le pont) en remplaçant les grilles des ponts par des panneaux en plexiglas. Pour ces institutions, l’enjeu est l’image internationale et la promotion de Paris, en tant que ville romantique et destination de choix pour les couples amoureux.

Les marques commerciales, qui exploitent depuis très longtemps l’imaginaire de Paris dans leur communication ne sont pas absentes de cette « mythologisation » du pont et de cette pratique : les marques de cadenas aussi qui ont étendu leur offre en s’adaptant à cette consommation des praticiens et proposent des cadenas sur-mesure et dédiés (avec des modèles en plaqué or ou gravé au diamant), les sociétés de voyages qui utilisent abondement cette image dans leur communication. Des marques de Joaillerie, de luxe proposent des collections de pendentifs ou bracelets avec le cadenas qui devient symbole iconique du sentiment amoureux. Les marques tournent des films publicitaires qui se dé

roulent sur le pont et reprennent la symbolique du pont. Les artistes intègrent dans leurs œuvres et leur « produits culturels » l’imaginaire et la pratique des cadenas sur le pont.

Pratique à l’origine libre et autonome, elle engage finalement une grande variété d’acteurs institutionnels, culturels et commerciaux.

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